La guerre entre Israël et le Hamas s’invite à la marche contre les violences faites aux femmes

Lors de la marche parisienne du 25 novembre, le collectif « Nous vivrons » a dénoncé le silence du milieu féministe sur les crimes sexuels du Hamas. Mais la foule semblait acquise à la cause palestinienne.

Drapeaux, camions, haut-parleurs… Sur la place de la Nation, à Paris, tout annonce le départ imminent de la marche. Comme chaque année, depuis 2018, des milliers de personnes s’apprêtent à défiler, à l’occasion de la journée contre les violences faites aux femmes. Ils répondent à l’appel du principal collectif féministe français, Nous toutes, et à celui de nombreuses autres organisations diverses (notamment Femen, Fage, Attac et CGT). À l’écart des autres manifestants, une centaine de personnes se sont rassemblées devant un café. Habituées des manifestations féministes pour certaines, moins pour d’autres, toutes sont là pour la même raison : interroger le silence assourdissant du milieu féministe français au sujet des crimes sexuels perpétrés par le Hamas, il y a un mois et demi.

Le 7 octobre, des centaines de soldats du Hamas ont attaqué le sud d’Israël, faisant plus de 1 200 morts. Mais aussi commettant des viols de femmes et de filles israéliennes, parfois sous les yeux de leurs familles.

Les organisations féministes sont restées longtemps silencieuses à ce sujet. La Fondation des femmes a attendu jusqu’au 10 novembre pour condamner – « sans réserve » – les crimes sexuels commis par le Hamas. De son côté, Nous toutes a posté un message sur son compte Instagram, le 26 octobre, pour appeler au cessez-le-feu, donner un bilan des victimes à Gaza et dénoncer « les conséquences de la colonisation » sur les civils. Sans un mot sur les crimes sexuels du Hamas.

Un silence épouvantable

Remontés contre ce parti pris, une dizaine d’anciens militants de l’Union des étudiants juifs de France et de SOS Racisme ont décidé de monter le collectif « Nous vivrons ». « Nous sommes là pour dire “femmes juives, on vous croit” », explique Sarah, qui ne souhaite pas donner son nom. Cette cheffe d’entreprise de 38 ans est porte-parole de l’action qui doit se tenir en marge de la marche, et pour laquelle sont attendues une centaine de personnes. « On veut aussi obliger les associations féministes à toutes se positionner clairement. Qu’elles disent soit : “Les femmes juives ne sont pas des victimes comme les autres” ; soit : “Oui, nous condamnons les féminicides menés par le Hamas.” » Le discours consistant à renvoyer dos à dos victimes israéliennes et palestiniennes insupporte Sarah : « Au contraire des Israéliennes, les Palestiniennes n’ont pas été visées parce qu’elles étaient précisément des femmes – ce qui n’enlève rien au fait que ce sont de tristes victimes. » Elle poursuit : « Aujourd’hui, les mouvements féministes ont peur de déplaire à un public acquis à l’idéologie de l’anticolonialisme. Et l’État d’Israël est, selon cette idéologie, le dernier bastion du colonialisme par les Blancs. En conséquence, ces mouvements n’osent plus défendre les droits des femmes juives. »

De nombreuses femmes et hommes sont venus rejoindre « Nous vivrons », partageant le même constat d’un silence épouvantable. Comme Michèle Fitoussi, ancienne éditorialiste au magazine féminin Elle. Durant trente années, elle a pris la plume pour soutenir toutes les victimes de viols. Qu’elles soient afghanes, congolaises, bosniaques… « Aujourd’hui je suis sidérée par le silence des féministes, en particulier des jeunes. »

Un silence complice

L’ex-éditorialiste ne mâche pas ses mots au sujet d’une de ses consoeurs. « Mona Chollet, c’est la haine des Juifs ! » Cette journaliste suisse s’est fendue, le 9 octobre, d’un tweet de reproche à Libération. Le quotidien faisait sa une sur le pogrom du 7 octobre. « Vous êtes au courant qu’il y a aussi des centaines de tués côté palestinien, @Libé ? Des familles entières massacrées ? Pas la bonne couleur de peau, peut-être ? » a raillé Mona Chollet. « On croit rêver ! » s’exclame Michèle Fitoussi. « J’ai vu très peu d’empathie à gauche, alors que je suis de gauche ! » regrette-t-elle.

Judith Rogoff, amie de Michèle Fitoussi, est encore très secouée. Cinq minutes avant, elle a eu, dans le métro, une conversation avec une femme qui se rendait, comme elle, à la marche. « Elle affirmait que les crimes sexuels du Hamas ne sont qu’une invention d’Israël. Invention relayée par les chaînes de télévision françaises ! Elle se serait renseignée sur Internet ! » Judith est d’autant plus choquée qu’une grande partie de sa famille est morte durant l’Holocauste. À 14 heures, le collectif déploie sa banderole – « Violées, mutilées, tuées par le Hamas. Qu’attendez-vous pour condamner et agir ? ». Les manifestants scandent des slogans : « Associations, réveillez-vous, le 7 octobre n’est pas tabou ! », et « Nous sommes fortes, nous sommes fières, nous sommes juives et en colère ».

Répétant ces refrains, le cortège entame un tour de la place de la Nation. Il passe devant celui d’Europalestine, dont les membres sont venus nombreux. Beaucoup de drapeaux vert, rouge et noir s’agitent. Des militants de cette association pro-Palestiniens se mettent à huer. « Ce sont les sionistes », explique un jeune homme, avec une étiquette NPA collée sur son sweat-shirt à la jeune fille à côté de lui. Le défilé continue et arrive à hauteur d’un groupe de jeunes masqués menaçants qui se signalent par un drapeau « Paris Antifa ». Une brève bagarre démarre entre deux membres des deux groupes, vite séparés.

Le cortège finit son tour de la place et s’immobilise, tout en continuant ses chants. « Féministes, votre silence vous rend complices. » « LGBTQ, avec le Hamas vous seriez pendus. » Plusieurs petits groupes de CRS se positionnent autour des militants pour les protéger.

Pas très loin, une étudiante parisienne de 24 ans et sa mère, venues aux appels d’Urgence Palestine et de Nous toutes. Toutes les deux sont dans l’incompréhension. « Pourquoi crient-ils qu’ils vont “pendre le Hamas et les LGBTQ” ? C’est incroyable de dire une chose pareille ! » La jeune femme, calme et posée, dit par ailleurs “ne pas avoir vu les preuves” des crimes sexuels commis le 7 octobre. Elle montre un individu avec un keffieh. « Regardez, les policiers le fouillent. À côté de ça, ils laissent tranquilles tous ces individus masqués qui ouvrent le cortège, et dont on ne connaît ni l’identité ni le rôle ! Vous trouvez cela normal ? »

Enjeux de sécurité

« C’est notre service d’ordre, chaque association possède le sien, explique Sarah. On a de la chance, on a aussi quatre cars de CRS venus nous protéger. » Et selon leurs ordres, le cortège va devoir attendre un bon moment. « Ils nous ont dit d’attendre que le gros de la marche ait bien avancé, afin qu’on ne se retrouve pas à défiler trop proche d’eux. C’est trop dangereux pour nous. » Mais le collectif attendra ce qu’il faut. « On refuse de leur laisser la rue ! »

Pendant ce temps, le long défilé d’Europalestine s’engage boulevard Voltaire. Un hautparleur répète qu’« Israël assassine les femmes de Palestine ». Sur le camion est affiché un portrait de Shireen Abou Akleh, une journaliste d’Al-Jazira tuée en Cisjordanie, en 2022, par le tir d’un soldat de l’armée israélienne. Des drapeaux « Boycotter Israël » tournoient dans les airs.

Au sein de cette masse se trouve Estelle, 19 ans, en classe préparatoire littéraire, « militante féministe de longue date ». « Je suis ici en soutien des femmes en général. Mais aussi en soutien des Palestiniennes, victimes de crimes de guerre effroyables. » La jeune femme condamne sans réserve les féminicides sur les Israéliennes. « Le féminisme n’a pas de nationalité », soutient-elle. Pour autant, « j’ai choisi de me ranger, au sein de la marche, du côté de Gaza. Car il y a maintenant là-bas plus de morts qu’il n’y en a eu le 7 octobre ».

Vers 16 heures, « Nous vivrons » finit par jeter l’éponge. « Les CRS nous ont découragés – pour notre sécurité – de nous engager dans les rues jusqu’à la place de la République. Il y a beaucoup de personnes âgées dans nos rangs, en face il y a les Antifa. Pas question de foncer tête baissée, nous ne sommes pas des kamikazes. » Mais Sarah l’assure, « les actions du collectif ne s’arrêteront pas là ». Il ne s’agissait d’ailleurs pas de sa première. Le 12 novembre, c’est « Nous vivrons » qui avait perturbé le dépôt de gerbe de LFI au Vél d’hiv. La formation avait préféré se rendre au monument commémorant la rafle de milliers de Juifs durant l’Occupation, plutôt que de participer à la marche contre l’antisémitisme. « Pas question de laisser LFI marcher sur la mémoire de nos grands-parents », estime Sarah.

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