Cash et déterminée, la porte-parole de Nous vivrons, collectif juif né dans la foulée du 7 Octobre, porte le combat contre l’antisémitisme dans la rue.
Elle parle fort, avec les mains, et on se surprend à jeter des coups d’œil aux tables voisines, dans ce café paisible du Marais, près des bureaux de son agence de photographes, Myphotoagency. «Les antisémites, ils nous trouveront toujours sur leur chemin !» Ou encore : «On n’est pas relige [religieux, ndlr], mais le sionisme, c’était hyper-important dans ma famille.» On se retient de lui demander de baisser la voix, avant de se souvenir à qui on a affaire : Sarah Aizenman, 38 ans, cheffe d’entreprise, deux enfants, présidente et porte-parole de Nous vivrons, jeune collectif de lutte contre l’antisémitisme surgi après le 7 Octobre. Elle se dit «sioniste et pro-palestinienne», défend «deux peuples deux Etats, évidemment pas avec le Hamas», et «évidemment pas avec les colonies».
«Tout part d’une discussion entre copines un vendredi soir arrosé, deux jours avant la grande manif contre l’antisémitisme du 12 novembre. Quand on a appris que LFI ne voulait pas participer à la marche mais déposer à la place une gerbe au Vel d’Hiv, on s’est dit qu’on ne pouvait pas les laisser faire ça, insulter les Juifs vivants le samedi pour honorer la mémoire des Juifs exterminés le dimanche.» Une centaine de messages WhatsApp plus tard, ils sont une trentaine à brandir des pancartes «Touche pas à la mémoire». La bande de potes s’est connue à l’Union des étudiants juifs de France (UEJF), puis ils ont fait des gosses et carrière. Vingt ans plus tard, la nécessité de «reprendre les armes, de repartir au combat», s’est imposée face à l’explosion des actes antisémites. Nous vivrons, dont le nom s’inspire d’une aquarelle de Joann Sfar, s’est donné comme mot d’ordre : «Nous ne nous tairons pas, nous ne nous terrerons pas.» L’air de rien, c’est rompre avec des siècles de peur qui ont trop souvent conduit les Juifs à raser les murs.
Depuis, ils multiplient les actions chocs mais non violentes avec des slogans ironiques, à la croisée des méthodes d’Act-Up et des Klarsfeld. Au meeting du député LFI David Guiraud en Normandie, avec des masques de dragon pour dénoncer son usage du poncif antisémite «Dragon céleste». A celui de Paul Vannier et de Rima Hassan à Bezons, ce qui vaut à ce «mouvement d’extrême droite violent et raciste», selon la candidate LFI, une procédure bâillon pour «entrave à la liberté d’expression». A Roissy, en janvier, pour accueillir Jean-Luc Mélenchon de retour du Liban aux cris de «Hezbollah, les insoumis vous disent merci». Ou dans les cortèges féministes pour porter la voix des Israéliennes violées par les commandos du Hamas, avant de se faire caillasser par des militants d’Urgence Palestine.
Si Nous vivrons cible souvent La France insoumise, c’est, dit Sarah Aizenman, «parce que ce sont eux qui, depuis le 7 Octobre, attisent la haine antisémite, mettant une cible dans le dos des Juifs». Mais le RN est aussi dans leur viseur, assure la militante antiraciste, solide sur ses appuis.
Comme Sam, l’héroïne de la Fièvre, série qu’elle a dévorée, en bonne républicaine flippée par la montée des extrêmes, l’égérie de Nous vivrons est une pro de la com, passée par Euro RSCG avant de se former à la diplomatie et au lobbying auprès de l’ex-ministre Nicole Guedj. Mais Sarah Aizenman est l’anti-Sam : pas du genre à se laisser submerger par des angoisses existentielles, ni à se poser des «tonnes de questions», même si ses copines louent «sa capacité d’écoute et de remise en question». «Sarah, c’est l’amie avec qui je suis le plus en désaccord politiquement mais du coup, c’est celle avec qui les discussions sont les plus intéressantes. Elle m’élève», reconnaît la réalisatrice franco-marocaine Yasmine Benkiran.
Passe-temps? «Pas de sport, my God. Et pas de hobby à part boire des coups avec mes copines.» L’amour ? Pudique, elle ne dira rien de l’homme de sa vie, qui est aussi le père de ses deux filles, Tali, 4 ans, et Noa, 10 ans. Sans surprise, ce couple de startuppeurs (monsieur est le créateur des sauces tomate Papa Sauce) vote Macron. Pour les européennes, cette «fasciste» aux yeux de l’extrême gauche hésite entre Glucksmann et Hayer.
D’où lui vient cette «force tranquille», dixit ses copines pas juives, cette «houtzpa de ouf», mot hébreu pour dire le culot, selon ses copines juives ? «J’ai toujours été adorée. J’étais la première de la fratrie, la première des petits-enfants, on m’a beaucoup encouragée et valorisée», répond cette fille solaire qui, enfant, mate le Roi Lion en boucle dans son pavillon de Carrières-sous-Poissy, dans les Yvelines, et se rêve un destin à la Simba. Famille de commerçants, dans le shmattès, le «prêt-à-porter», en yiddish. Scolarité dans le public. Ado, elle traîne avec «les mecs des cités» voisines, sans jamais rentrer son pendentif en forme d’étoile de David sous son tee-shirt. Au contraire : «Dans le regard des autres, j’étais la juive, mais ce n’était pas un problème», assure celle qui dit appartenir «à la dernière génération du vivre ensemble, le vrai, quand les “feujs” et les Arabes traînaient ensemble plutôt qu’avec les “toubabs”». Une fois, elle est au McDo avec ses copines quand des «petits» de la cité se plantent devant elle : «C’est toi la juive ?» Elle se retrouve à terre, rouée de coups, mais retire sa plainte. L’incident l’a marquée, pas traumatisée.
Elle est en terminale quand Jean-Marie Le Pen se qualifie pour le second tour de la présidentielle 2002. «On a fait toutes les manifs de l’entre-deux-tours», se remémore la digne fille de son père, qui faisait «le coup-de-poing contre le GUD à Tolbiac» dans les années 70. Pendant ses années à l’UEJF, elle s’occupe d’organiser le spectacle Rire contre le racisme, en coprod avec SOS Racisme. Remplir le Zénith quand on a 20 ans, sacré défi. L’entrepreneuse kiffe Israël, sa mentalité «à l’américaine», son côté «sky is the limit».
Lors de la dernière présidentielle, elle signe un texte au vitriol contre Eric Zemmour dans Tribune juive : «Pas une voix juive pour les fachos». Exhorte «les enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants d’immigrés que nous sommes» à ne pas se laisser «berner» par le candidat d’extrême droite, partisan de la remigration. «Les Arabes à la mer ! C’est donc cette promesse qui nous autoriserait à balayer d’un revers de la main la devise républicaine ?» Elle en profite pour rappeler «d’où» elle parle : «Mon grand-père paternel a été déporté à Bergen-Belsen alors que son père faisait partie des poilus de 14-18. Désolée, Zemmour, mais la France de Pétain n’a pas protégé ses Juifs.»
De là son sentiment de trahison après l’attaque du Hamas. «Mes premiers posts Insta, c’était pour dire : “Ils sont où les potes?” Le pire, c’est que si Marine Le Pen passe en 2027, on sera les premiers à être dans la rue.» Pas évident, malgré deux heures d’entretien et deux semaines d’échanges par WhatsApp, de percer l’armure. Y a-t-il tout de même quelque chose qui lui fasse peur ? «La solitude.»
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