Lutte contre l’antisémitisme : «Nous Vivrons», un collectif révélateur des fractures de la gauche

Largement féminin, ce collectif contre l’antisémitisme né après les attaques du 7 Octobre a peu d’alliés dans la mouvance féministe et antiraciste. Accusé de connivence avec l’extrême droite, il dénonce un faux procès.

Le 1er mai, à Narbonne, une poignée de femmes juives, membres du collectif Nous Vivrons, déboulent au meeting du Rassemblement national dans une arena gonflée à bloc, qui s’apprête à accueillir Marine Le Pen et Jordan Bardella. Pancartes au poing, elles scandent : «Vous n’êtes pas le bouclier des Juifs», en référence à une formule de la cheffe du parti, avant de se faire virer manu militari par les gros bras de la sécurité. Le même jour, le même slogan résonne à Domrémy-la-Pucelle (Vosges), où d’autres membres de Nous Vivrons perturbent l’hommage de Marion Maréchal à Jeanne d’Arc. Malgré ces deux actions dirigées contre le parti nationaliste, «on va continuer à nous dire qu’on est un collectif d’extrême droite», regrette quelques jours plus tard, auprès de Libération, Bettina Manchel, sa vice-présidente.

L’objectif de Nous Vivrons est pourtant clair, énonce sa présidente Sarah Aizenman : «Lutter contre l’antisémitisme, qu’il vienne d’extrême gauche ou d’extrême droite.» Bettina Manchel complète : «Tout de suite après le 7 Octobre, on a observé un relativisme vis-à-vis du caractère antisémite du pogrom. Il y a eu un ras-le-bol. On s’est dit : “Fini de se retrouver entre Juifs place Victor-Hugo [lieu habituel des rassemblements de la communauté, ndlr], maintenant, on se montre”.»

C’est ainsi que le collectif décide de participer à la marche organisée le 25 novembre 2023 par les principales organisations féministes du pays, puis à toutes les suivantes, dans le but d’attirer l’attention sur les victimes des crimes sexuels du Hamas. Une présence qui, ajoutée au fait que le collectif compte deux tiers de femmes parmi la centaine de militants actifs revendiqués, a créé une autre confusion. «Nous sommes un comité de lutte contre l’antisémitisme, pas un collectif féministe, insiste Bettina Manchel, même s’il y en a parmi nous.»

Mais l’amalgame dont souffre le plus Nous Vivrons est celui qui le lie à Némésis, collectif 100 % féminin lié aux franges dures de l’extrême droite et souvent qualifié de fémonationaliste, un terme désignant l’instrumentalisation des luttes féministes à des fins racistes, xénophobes et sécuritaires. Le 8 mars 2025, malgré le refus des associations organisatrices de la marche féministe, Némésis s’incruste et défile sous la protection de la police, qui positionne Nous Vivrons juste devant, au grand dam de ses militantes. Mais si la proximité spatiale des deux collectifs a pu favoriser la confusion, on la doit aussi à des personnalités et des comptes influents sur les réseaux sociaux.

Ainsi, le 7 mars, la députée LFI Sarah Legrain poste une vidéo dans laquelle elle dénonce les «idées de haine, de discrimination raciste et coloniale» de Némésis et Nous Vivrons. Au même moment, du côté de Révolution permanente, émanation du Nouveau Parti anticapitaliste qui compte 89 400 followers sur X, on renvoie aussi Némésis dos à dos avec Nous Vivrons, «collectif d’extrême droite» qui «soutient le génocide en Palestine». Puis c’est au tour du compte indépendant Cerveaux non disponibles (474 000 fans sur Instagram, 113 600 sur X) de dénoncer «les pseudo-féministes d’extrême droite de Nemesis et Nous Vivrons», tandis que le compte Babar le Rhinocéros, 45 000 abonnés sur X, poste : «Nous Vivrons utilise la même stratégie que Némésis, ils ne sont pas de centre gauche mais de l’extrême droite de Netanyahou.» La militante féministe Mécréante (91 100 fans sur Instagram) attend mars pour qualifier pêle-mêle le collectif de «sioniste», «pro-Netanyahou», «génocidaire» et «fémonationaliste» sur son blog hébergé par Mediapart.

Contactés, Sarah Legrain, Révolution Permanente et Cerveaux non disponibles n’ont pas répondu à nos sollicitations. Babar le Rhinocéros, lui, maintient la comparaison, assurant que Nous Vivrons fait appel à la très violente Ligue de défense juive pour assurer sa protection, une information toutefois infirmée par Libération. Quant à Mécréante, elle précise : «Nous Vivrons condamne le Hamas, mais n’a jamais fait de même avec Netanyahou, ce qui revient à soutenir sa politique.»

«Nous sommes un collectif sioniste né après le 7 Octobre, rétorque Sarah Aizenman. Il y a donc un lien entre nous et Israël. Mais nous ne commentons pas la politique israélienne.» Reste que le collectif, qui revendique une solution à deux Etats, marche parfois sur un fil. Comme quand il peint un drapeau israélien à côté du drapeau palestien qui orne un escalier dans une rue nantaise, ou qu’il prend position contre le blocus de Sciences Po Paris par des militants pro-Palestiniens. «Sur le terrain, on nous fait remonter des propos terribles contre des Juifs, notamment dans des facs, en marge des certains mouvements pro-Palestiniens, justifie Sarah Aizenman. Et ça, c’est le cœur de notre combat : la lutte contre l’antisémitisme en France.» Mais les adversaires du collectif, comme Mécréante, n’en démordent pas : «Nous Vivrons est proche de mouvements qui ont fait le lit de l’extrême droite», martèle la jeune femme, qui cite en particulier «le Printemps républicain».

Ce mouvement politique, créé en 2016 dans le but affiché de «promouvoir le commun et la laïcité dans le paysage politique français», est taxé d’islamophobe par des chercheurs et intellectuels reconnus, mais aussi accusé de pratiquer un lobbying violent, notamment sous forme de cyberharcèlement envers des militants, des journalistes et des politiques, afin d’imposer sa vision bien particulière de la laïcité. Le 8 mars, Marika Bret, ex-DRH de Charlie Hebdo et actuelle présidente du Printemps républicain, était présente aux côtés de Nous Vivrons, qu’elle soutient activement sur X.

Quinze jours plus tard, le collectif publiait dans le Monde une tribune intitulée «Pour que l’antisionisme ne serve plus de prétexte à l’antisémitisme !», signée par plusieurs proches du Printemps républicain et de ses idées : les ministres Manuel Valls, Aurore Bergé et Astrid Panosyan-Bouvet (veuve de Laurent Bouvet, cofondateur du mouvement), le journaliste Mohamed Sifaoui, le polémiste Raphaël Enthoven, l’ex-député Julien Dray… Sarah Aizenman, qui dit «ne pas avoir connaissance» des méthodes du mouvement, justifie cette union : «On essaie d’agréger un maximum de soutiens, en fixant un cadre républicain, laïque, universaliste.»

Là se situe la vraie fracture entre Nous Vivrons et une partie de la gauche. Son noyau dur s’est connu au début des années 2000 à l’Union des étudiants juifs de France. A l’époque, l’organisation de jeunesse, créée en 1944 par des étudiants issus de la Résistance, est très proche de SOS Racisme et Charlie Hebdo. Sarah Aizenman et ses camarades y apprennent «un militantisme à l’ancienne», dont ils se réclament encore aujourd’hui. On est bien loin des tendances politiques actuelles : féminisme intersectionnel, antiracisme compatible avec des identités culturelles et religieuses marquées.

Nous Vivrons, mis au ban des organisations qui s’en revendiquent, cherche donc ses nouveaux soutiens ailleurs. Le 8 mars, ses militantes ont défilé conjointement avec Femme Azadi, association qui promeut le mouvement féministe iranien «Femmes, vie, liberté». Sa médiatique cofondatrice, la Franco-Iranienne Mona Jafarian, est une habituée d’Europe 1 et CNews. En avril, elle y déplorait que la France soit «en train de se coucher devant l’islamisme», cette situation l’incitant à rappeler «comment l’Iran a basculé» dans le régime des mollahs.

Sur Instagram, le 3 mars, elle dénonçait même «la République islamique de France», dans une vidéo publiée en cosignature avec Nous Vivrons… Interrogée, Sarah Aizenman argue que Mona Jafarian, «qui vient avec son histoire, sa mémoire», «n’est pas, à [s]a connaissance, accusée de racisme anti-musulmans». La militante se refuse à employer le terme d’islamophobie. Encore une ligne de faille.

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