INTERVIEW. Le collectif Nous vivrons, né au lendemain de l’attaque du Hamas contre Israël, participera au cortège officiel à Paris pour la Journée des droits des femmes. Il en avait été empêché en novembre.
Le 25 novembre dernier, la marche féministe contre les violences faites aux femmes avait donné lieu à de nombreuses polémiques. Un peu plus d’un mois après les massacres commis par le Hamas en Israël, qui ont fait 1 200 morts et entraîné l’offensive sanglante de l’État hébreu à Gaza, un cortège de femmes juives, issues du collectif Nous vivrons, né au lendemain du 7 octobre, avait été empêché de rejoindre la manifestation, où elles comptaient rendre hommage aux victimes israéliennes.
Le collectif #NousToutes, qui organisait l’événement, avait prétendu avoir confondu le collectif juif avec un groupuscule d’extrême droite. L’événement a mis en lumière le malaise d’une partie de la gauche, et de certains collectifs féministes face à l’antisémitisme et aux violences subies par les femmes en marge des massacres dans le sud d’Israël. Nous vivrons fera cette fois partie du cortège officiel qui défilera pour la Journée internationale des droits des femmes à Paris. « Une énorme avancée », se félicite Sarah Aizenman, qui préside le collectif. Entretien.
Le Point : Que s’est-il passé lors de la marche contre les violences faites aux femmes organisée par l’organisation féministe #NousToutes le 25 novembre dernier ?
Sarah Aizenman : Notre démarche pour la manifestation du 25 novembre était double : aller porter les voix des victimes des massacres du 7 octobre, puisque personne ne le faisait, et dénoncer le silence assourdissant des féministes à l’égard des viols, des mutilations et des tortures subis lors de l’attaque du Hamas. Il faut rappeler qu’en matière de violences sexuelles et sexistes, ce qui prévaut depuis #MeToo, c’est le « on vous croit ». Toutes les femmes qui sont victimes de violences, on les croit. Sauf les Israéliennes en l’occurrence, en tout cas à ce moment-là de la partie. Fort heureusement, les choses ont depuis évolué. Reste qu’à cette période, l’absence de réactions des féministes est justifiée par le fait qu’on attend les enquêtes officielles, alors qu’elles ne le font pour personne d’autre. Nous avons alors considéré qu’il y avait une lame de fond antisioniste, et donc antisémite, et qu’il convenait de défendre les droits des femmes israéliennes et de les faire participer, par notre voix, à cette marche féministe. En amont, nous avions pris attache avec les organisatrices de cette marche, mais nous n’avons jamais eu de réponse. Elles nous ont appelées trente minutes avant le début de la manifestation pour nous dire de les rejoindre. Il était évidemment impossible de changer le point de rendez-vous à la dernière minute, comme elles le savaient très bien. On les a donc rejointes plus loin, place de la Nation à Paris, avec notre banderole, nos pancartes. On s’apprêtait à marcher quand les antifas nous sont tombés dessus. Heureusement, nous avions notre service de sécurité. On décide tout de même de défiler, de ne pas céder. C’est alors que des CRS sont venus nous expliquer que les risques étaient trop grands. Nous étions 200 femmes entre 30 et 70 ans, donc a priori, une menace pour personne, mais à ce moment-là, on a considéré que faire rentrer des juives dans le cortège d’une marche féministe était dangereux. Il a finalement été impossible de rejoindre le cortège. On a compris qu’on ne voulait pas de nous, alors nous sommes parties. Sans que personne vienne nous apporter un quelconque soutien.
Vous avez, depuis, été invitées à participer à la grande marche féministe du 8 mars, organisée pour la Journée internationale des droits des femmes. Les choses ont donc évolué…
Au lendemain du 25 novembre, nous avons été contactées par la Fondation des femmes, le Collectif national pour les droits des femmes et l’Union étudiante. Une main a été tendue. À l’approche du 8 mars, nous l’avons saisie et dit que nous souhaitions nous joindre à elles, à condition de faire cette fois partie du cortège officiel. Il n’était pas question d’être à nouveau marginalisées. Leur réponse a pris quelques jours, je pense que notre présence a fait l’objet d’importants débats au sein des cinquante associations organisatrices, certaines s’y sont évidemment opposées, mais nous y sommes, et c’est cela qu’il faut retenir.
De ce que j’ai compris, notre positionnement dans le cortège a été longuement débattu et notre service d’ordre a aussi fait l’objet de critiques. On a pourtant vu les déclarations du ministre de l’Intérieur qui a expliqué que la sécurité des lieux de culte allait être augmentée, après l’agression antisémite qui s’est produite le week-end dernier dans le 20 … J’ai donc expliqué à nos interlocutrices qu’on ne pouvait pas venir sans notre service d’ordre, spécifiquement formé aux menaces antisémites. Ce que je retiens néanmoins, c’est le positif : il y a eu des débats, certes, mais le camp des féministes universalistes l’a emporté !
Vous indiquez que certaines organisations se sont opposées à votre venue. L’ont-elles fait publiquement ?
Une campagne de dénigrement a été lancée sur X [anciennement Twitter, NDLR], dès le 6 mars. Relève féministe a, par exemple, posté qu’elles avaient refusé la présence de notre collectif à la manifestation du 8 mars, en écrivant : « Ce collectif de femmes sionistes proches de l’extrême droite crache sur l’ensemble du mouvement féministe depuis le 7 octobre. » Urgence Palestine s’est également fendu de quelques posts nous mentionnant comme des « féministes impérialistes ». Le fait qu’elles aient toutes tweeté en même temps mercredi montre que c’est organisé, c’est une riposte.
Avez-vous peur de ce qu’il pourrait se passer ce 8 mars ?
J’aurais envie de vous répondre spontanément non, mais quand on est juif aujourd’hui en France, il faudrait être complètement inconscient pour exclure toute crainte. Oui, des craintes subsistent mais j’ai confiance, car on a été soutenues par les organisateurs, que le service d’ordre officiel de la marche est prévenu et accordera une attention particulière à notre cortège… J’ai surtout envie de retenir le positif, parce que c’est une énorme avancée, même si c’est absurde de le dire, car après tout on vient juste pour défendre le droit des femmes et toutes ces questions ne devraient pas se poser. Pendant un temps, on s’est demandé si on devait organiser notre propre événement, en marge du cortège… Mais non, les Juifs ne manifestent pas en marge des autres. On défend les mêmes combats républicains, on veut y prendre part. On appartient à la communauté nationale et nous n’avons pas à nous cacher pour défendre nos valeurs.
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