INTERVIEW. Malgré les intimidations, le collectif féministe de lutte contre l’antisémitisme Nous vivrons maintient sa participation à la marche du 8 mars.Propos recueillis par Nora Bussigny
Cette année à nouveau, les esprits s’échauffent avant la marche annuelle des femmes, le 8 mars. Sur les réseaux sociaux, différentes organisations se mobilisent sous la forme d’appels et de communiqués pour empêcher le collectif juif Nous vivrons de défiler à Paris. L’histoire se répète, ce collectif, accusé d’être « sioniste », a, à plusieurs reprises, été pris pour cible lors de mobilisations féministes à Paris. Aurore Bergé, ministre chargée de l’Égalité entre les hommes et les femmes et de la Lutte contre les discriminations, leur a apporté son soutien. À la veille du 8 mars, Sarah Aizenman, porte-parole de Nous vivrons, fait le point.
Le Point : Allez-vous participer à la marche féministe du 8 mars ?
Sarah Aizenman : Nous comptons marcher à Paris, mais aussi à Marseille et à Bordeaux, malgré les menaces et les intimidations. Fin novembre déjà, les organisatrices de la marche féministe avaient publié un communiqué annonçant leur refus de nous voir défiler avec elles le 8 mars. Cette éviction n’est pas nouvelle, tout comme la logique de certaines organisations : juifs = sionistes = fascistes = génocidaires. Ces personnes oublient que nous, membres de Nous vivrons et anciens de l’UEJF, avons toujours été en première ligne pour défendre les droits humains, qu’il s’agisse des Tchétchènes, des Darfouris ou encore d’Anna Politkovskaïa. Notre militantisme juif est républicain et universaliste, ce qui ne correspond pas au logiciel d’une ultragauche militante qui cherche à nous déshumaniser pour mieux nous agresser, comme ce fut le cas l’année dernière.
Comment appréhendez-vous la manifestation ?
Ce sera probablement la marche la plus difficile. Il suffit de regarder ce que beaucoup de collectifs publient ou repartagent sur leurs réseaux sociaux. Par exemple, Urgence Palestine, dont certains membres nous avaient jeté des tessons de bouteilles, des œufs et des légumes lors de la marche de l’année dernière, a récemment publié un communiqué appelant à nous « sortir ». Ils écrivent : « Il y a de nombreux moyens de faire de cette date une démonstration de force en appelant ces cortèges à défiler. » Ils proposent même d’organiser, je cite, « un cortège massif qui [nous] obligera par la force du nombre à partir ». Ce sont clairement des menaces.
Les organisateurs et les participants vous lient au collectif identitaire Némésis, que répondez-vous ?
C’est du pain bénit pour ces organisations antisémites. Lors de la dernière manifestation, le collectif Némésis a défilé derrière nous, mais nous n’y étions pour rien et nous ne savions pas qu’elles seraient présentes. Nous n’avons rien à voir avec l’extrême droite, et nous l’avons clairement expliqué dans notre charte : nous ne laisserons rien aux extrêmes. « Ni facho ni facho », c’est notre position, et nous n’avons aucun problème à mettre un signe = entre l’extrême gauche et l’extrême droite.
Nous luttons contre l’extrême gauche de La France insoumise, responsable de l’explosion des actes antisémites en France, tout comme nous combattons l’extrême droite, qui a installé cet antisémitisme dans notre pays. Nous sommes pris en tenaille entre ces deux extrêmes et en payons le plus lourd tribut.
Certains se justifient en précisant que des juifs seront bien présents, à l’instar des collectifs décoloniaux de l’UJFP ou de Tsedek !…
Lorsque ces personnes citent les deux exemples juifs que vous venez de donner, elles instrumentalisent l’antisémitisme. C’est le cas d’Houria Bouteldja, qui affirme qu’il y a de l’antisémitisme parce qu’Israël existe. Selon cette logique, ce sont donc les juifs qui sont responsables des violences dont ils sont victimes.
Des pompiers peuvent être pyromanes, et des juifs peuvent être antisémites. Les seuls qui ont la parole pour ces organisations sont ces collectifs qui acceptent de se taire ou de défendre les attaques du 7 octobre 2023. Tous nous reprochent d’être « sionistes », c’est-à-dire favorables à l’autodétermination du peuple juif. Pourtant, nous soutenons également l’autodétermination du peuple palestinien. Pourquoi une cause devrait-elle en effacer une autre ?
Vous avez reçu de nombreux soutiens sur les réseaux sociaux, mais en avez-vous aussi eu de la part de personnalités et de collectifs ?
Oui, et cela confirme ce que nous croyons : le seul rempart à l’antisémitisme, c’est la République. C’est ce qui nous permet de croire à un avenir pour les juifs en France. La ministre Aurore Bergé nous a soutenu publiquement sur ses réseaux sociaux, puis dans un discours prononcé à l’Assemblée nationale, en citant notre combat et en rappelant que le féminisme, c’est pour toutes les femmes.
La Licra nous a également apporté son soutien, tout comme les Iraniennes du collectif féministe Femmes Azadi, qui ont appelé à marcher à nos côtés, ce samedi. Ce n’est pas rien qu’une partie de la diaspora iranienne soit de notre côté, et cela fait chaud au cœur, car nous sommes bien seules depuis le 7 octobre.
Dans les villes où nous marcherons, comme Marseille et Bordeaux, les préfectures ont déjà intercepté des messages menaçants et ont été interpellées. Il incombe maintenant à chacun de choisir son camp, et nous appelons tous ceux qui se battent pour la République à venir marcher à nos côtés !
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