Un an après les attaques terroristes du Hamas en Israël, l’historienne Anne-Sarah Moalic Bouglé revient sur l’un de ses aspects les plus perturbants : les nombreuses agressions sexuelles subies par les victimes. « Faut-il s’interroger sur la nationalité des mortes, sur leur religion, pour s’indigner ? Leur sang aurait-il été plus rouge, si elles avaient été autres ? »
Au lendemain des attentats meurtriers du 7 octobre 2023 en Israël, le choc était tel qu’il était difficile de faire une distinction entre les victimes. L’attention était focalisée, à juste titre, sur la masse des morts, sur l’annonce des prises d’otages. Il a fallu quelque temps pour qu’émerge la conscience du caractère genré des attaques, grâce à des enquêtes de journalistes et à la voix, en France, du collectif Nous vivrons. Non que le nombre de victimes soit plus important chez les femmes que chez les hommes – ont été assassinés sans discernement les enfants et les personnes âgées, les femmes et les hommes – mais la nature des agressions, elle, avait bien des spécificités.
Comme dans tant d’autres conflits, le corps des femmes, mais aussi des filles, a été un terrain de guerre. Par leur dégradation, c’est tout un peuple, toute une communauté que l’on veut atteindre et humilier. Le corps violé, déchiré, mutilé devient la sordide métaphore du pays agressé. Le principe de vie incarné par le ventre féminin est lacéré.
Les atrocités sont telles qu’on préférerait ne pas voir, ne pas lire, ne pas entendre pour éviter d’avoir, quand nos yeux se ferment, ces fragments d’images flottants comme des spectres dans notre esprit, et dans le silence, les échos des hurlements des suppliciées.
Loin d’être des dérapages individuels et barbares, en marge de l’humanité, la multiplication des cas indique que les agressions sexuelles ont été utilisées comme une arme. Cela faisait partie du plan. L’article du New York Times de décembre 2023, recoupant 150 témoignages à l’issue d’une longue enquête de terrain, en apporte la preuve.
Les terroristes du Hamas ne sont pas les premiers à avoir délibérément utilisé les sévices sexuels comme tactique de guerre. Une douzaine de textes, conventions, résolutions condamnent ces pratiques depuis 1945. En 1998, le statut de Rome, créant le Tribunal pénal international, considère le viol systématique comme un crime de guerre et un crime contre l’humanité. Dix ans plus tard, le Conseil de sécurité de l’ONU vote la résolution 1820, indiquant que toutes formes de violences sexuelles à l’égard des femmes est une menace pour la paix et la sécurité internationale et proclame son intention d’envisager des sanctions ciblées à l’égard des auteurs.
À ce stade du conflit, tout laisse penser que les agresseurs ne seront jamais sanctionnés spécifiquement pour ces viols et ces mutilations. Cette guerre est plus que jamais politique et certains se sentent obligés de hiérarchiser les victimes. Pourtant, face à l’horreur – celle du massacre, celle des viols, celle de la mise en scène des attaques donnant lieu à des vidéos « virales », qu’importe la politique ? Faut-il s’interroger sur la nationalité des mortes, sur leur religion, pour s’indigner ? Leur sang aurait-il été plus rouge, leur cri plus déchirant, la terreur dans leurs yeux moins grande, si elles avaient été autres ?
Sans doute le retour des dernières survivantes, otages des terroristes du Hamas depuis une interminable année, ne permettra pas d’exorciser l’infamie. Ce retour serait un sauvetage, celui de victimes innocentes, dont on ignore le sort mais pour qui, au vu des violences du 7 octobre, on peut craindre le pire. Le New York Times laissait entendre que ce serait pour cacher des abus que les terroristes auraient limité la libération des femmes, pourtant jugée prioritaire avec celle des enfants, lors des négociations de 2023.
Au vu des textes internationaux, au vu de la simple humanité, la libération de ces femmes et la ferme condamnation des crimes dont elles et toutes les autres ont été victimes devraient être pour tous une priorité.
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